La tribune de Robert Guédiguian pour l'Arménie
"La Provence" publie aujourd'hui un dossier sur les personnes qui se mobilisent pour alerter l'opinion publique internationale sur le risque encouru par l'Arménie qui subit de nouvelles attaques de l'Azerbaïdjan depuis le 13 septembre dernier. À cette occasion, le cinéaste Robert Guédiguian a écrit une tribune.
Tous les Français connaissent un Arménien… mais presque toujours dans l'ignorance de son histoire. Je ne vais ni refaire l'historique de "l'Arménité" depuis la nuit des temps ni analyser la défaite du Karabakh.
Je suis arménien et je souhaite le rester. Pourquoi ? Parce que c'est ainsi que je suis arrivé au monde. Je fais partie du peuple, de la nation, de la patrie, de la tribu, de la communauté… j'ai envie de dire de l'espèce arménienne en référence à l'espèce humaine de Robert Antelme. En effet comment nommer ce qui unit un certain nombre d'individus par-delà les règles juridiques et les États que le monde s'est jusqu'à présent donnés et qui leur fait devoir de résister. Résister à quoi, me direz-vous… à leur propre disparition, bien sûr. On ne résiste jamais qu'à la mort.
L'espèce arménienne a survécu à de multiples catastrophes. Pour cela elle a dû se disperser et renoncer à ses terres ancestrales. Il ne lui reste que l'Arménie du Caucase et le Karabakh au milieu de l'Azerbaïdjan…
Il en va de l'Arménie contemporaine comme de certains enfants dans la cour de l'école. Ils sont faibles, fragiles et seuls… Ils doivent se mettre sous la protection d'amis plus musclés. Ces amis exigent des remerciements, une sucrerie, une aide aux devoirs, une indiscrétion… L'assujettissement commence à bas bruit. Il devient inévitablement insupportable et l'enfant se retrouve seul comme à sa première rentrée des classes. C'est ce qui arrive à l'Arménie lâchée par les Russes qui l'ont vassalisée face aux Azéris et aux Turcs qui rêvent de l'anéantir et aux Occidentaux qui font de vaines déclarations mais aucun geste concret.
La géopolitique à l'aune d'une cour d'école. Que faire en attendant qu'un droit international existe et, surtout, puisse s'imposer. On note des avancées… et des reculs. Beaucoup de reculs ces temps-ci… ainsi va le monde. Les leçons de l'histoire semblent définir une condition sine qua non afin que cette résistance d'un peuple face à sa propre disparition soit victorieuse.
Ce peuple doit posséder un port où il puisse s'amarrer lorsque la tempête se lève pour attendre que la mer se calme.
C'est ce port d'attaches qui est harcelé par l'Azerbaïdjan et la Turquie qui ne le reconnaissent pas et la Russie qui ne le reconnaît plus. Pour ceux qui l'ignorent ce n'est pas seulement le Karabakh qui est menacé. Les frontières de l'Arménie "soviétique" sont contestés… et sans ce port l'arménité disparaîtra… la diaspora disparaîtra… l'espèce arménienne disparaîtra.
Il n'y a qu'une solution et une seule pour conserver ce port. Il faut acquérir une indépendance économique qui conditionne toutes les autres nécessités à l'existence d'un État qui n'a aucun appui extérieur. Nous sommes seuls et abandonnés… assumons-le, considérons que nous sommes un seul peuple et levons l'impôt pour le prouver.
Le mot fait fuir, c'est une erreur car je pense depuis toujours que l'impôt est, dans tous les temps et en tout lieu et sous tous les régimes politiques, le garant de l'intérêt général des sociétés constituées. Et l'intérêt général et vital de tous les Arméniens qu'ils soient de la diaspora ou d'Arménie ou du Karabakh est clair… préserver les frontières de l'Arménie et du Karabakh, sauver et entretenir, voire renforcer les digues de notre port.
Si les 600 000 Arméniens de France donnaient 10 € par mois, cela ferait 72 millions d'euros, imaginez 20 €, imaginez un million d'Arméniens dans le monde, et si deux millions d'Arméniens donnaient 30 €… trois millions, 40 €… Rêvons et nous vaincrons.
Je le répète, nous devons nous penser et nous représenter comme un seul et même peuple. Nous devons vaincre le cancer de la défiance qui nous ronge depuis trop longtemps. Nos différences ne doivent plus être un objet de discorde mais un mystère antique sur lequel se raconte l'avenir. Ce prélèvement, cet "impôt sacré" passe par le Fonds arménien de France qui a toujours investi avec pertinence et en toute transparence les sommes qui lui ont été confiées dans l'éducation, l'agriculture, l'énergie solaire et le développement des villages frontaliers. N'oublions pas que les économies ainsi réalisées dans ces domaines par l'État arménien permettront les investissements vitaux dans son armement…
Pour les Arméniens, en ces temps nouveaux, cet impôt volontaire est une ardente obligation, pour les amis de l'Arménie c'est une affection que nous n'oublierons jamais.
Sources :